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Les États généraux du film documentaire 2019 Artur Aristakisian – Rencontre

Artur Aristakisian – Rencontre


Artur Aristakisian termine Ladoni en 1994 dans le cadre du VGIK, la célèbre école du cinéma russe, après plusieurs années de travail. Une ode aux mendiants, déshérités, laissés pour compte, exclus au cœur d’une ville dont leurs corps sont le battement. Ce poème fleuve dans les rues de Chișinău en Moldavie, cette lettre dite à un fils qui n’est pas né est une adresse au monde, une allégorie mystique et visionnaire, comme une « âme de résistance » à l’usage du monde. Un film devenu aujourd’hui quasi mythique, ce qui n’empêche pas Artur Aristakisian de partager et de transmettre sa vision du cinéma avec de jeunes auteurs talentueux, au sein du laboratoire qui lui a été confié à l’École du nouveau cinéma de Moscou. Autour de lui, avec une singularité de cinéma très marquée, Elena Gutkina, Genrikh Ignatov et Nadia Zakharova.
L’envie de présenter à nouveau Ladoni à Lussas, cette fois en la présence d’Aristakisian, est née en 2016 avec la rencontre des deux coréalisateurs de Le Loup et les Sept Chevreaux, étudiants aux côtés d’Aristakisian. Ils évoquaient régulièrement d’autres films, des films rares qui dénotent une cinéphilie attentive, sous l’influence notamment d’Aristakisian. Puis, ils nous ont présenté Ogoni, le film de Nadia Zakharova, une incandescence.
Deux ans plus tard, lors d’un passage à Moscou, Elena et Genrikh ont organisé notre rencontre avec Artur Aristakisian. Chez lui, la pièce principale est celle où l’on projette les films. Il nous a montré une séquence tournée en 16 mm par un de ses élèves, un plan sur le visage d’un aveugle, quelques autres plans à peine, annonciateurs, et peu de mots nous ont suffi pour en parler. Si le cinéma doit révéler une réalité invisible du monde, Artur Aristakisian s’attache à montrer comment cette réalité est traversée d’allégories. Le travail du cinéaste est de tenter de s’en saisir, de les transformer tout en gardant leur cœur intact.
Il dit à propos de Ladoni : « J’ai filmé les gens que je vois dans la rue et auxquels nul ne prête attention. J’aurais voulu passer ma vie entière à les observer. » Pour lui, le cinéma est une forme de relation photographique à la vie. Le cinéma raconte la vie en saisissant des personnes prises dans des bribes de temps. Le film est une forme d’expérimentation, de dialogue avec le film lui-même, comme une substance propre et autonome, nourrie de cette réalité photographique. « Le film est le personnage principal de Ladoni. Les mendiants me semblaient être ce langage permettant de voir le film lui-même, de voir et de ressentir avec les yeux. Je ne pensais pas à ce moment qu’un film viendrait nécessairement. Je sentais juste que je devais filmer, filmer et encore filmer. Je m’intéressais aux personnes, à leurs actions, à leur visage, en tant que langage – comme un code, un code par lequel vous pouvez parler aux gens, mais un langage non verbal, un langage visuel. » Ces derniers mots s’appliquent précisément aux deux films d’anciens étudiants que nous avons choisis de présenter.
Elena Gutkina et Genrikh Ignatov ne guettent pas, n’épient pas, ils attendent, à côté, dans une tension du regard et une attention palpable. Ils composent une texture de l’image qui épouse l’indistinct de leur récit, le flou vibrant d’une route humide et d’une forêt sombre, ou celui d’une nature morte vernaculaire sur la table de la cuisine. Hormis le corps de Valya, ce sont les seuls paysages où s’inscrit cette histoire. Il y a certainement de l’indiscernable dans leur vie, qui tient pourtant ensemble Valya et son père, et que les deux cinéastes parviennent à esquisser. Leur film est un huis clos, celui de Nadia Zakharova, une errance de la ville à la steppe. Visions et apparitions, envolées et échappées, la jeune cinéaste le regard à l’affût parvient à exaspérer la réalité, à l’attiser jusqu’à un point d’incandescence où apparaît la fébrilité d’un désir invisible et si lumineux, autant d’éclats des vivants enveloppés dans une myriade de sons.
Aristakisian dit à propos de On the Bowery de Lionel Rogosin, qu’il a choisi de nous présenter : « Sur le Bowery, les âmes humaines périssent. Un endroit pourri où il n’y a pas d’amour. Celui qui est tombé s’est fait enlever ses chaussettes, ses poches ont été vidées. Et c’est exactement là, ici-bas, que le miracle se déroule. Le protagoniste survit jusqu’à la fin du film et attrape le train de la vie. Avant, il sera témoin d’un acte surnaturel dans les toilettes des hommes. Rogosin est un “grand” étranger. On the Bowery est un film fabriqué au Paradis. »

Christophe Postic


Débats animés par Christophe Postic.
En présence de Artur Aristakisian, Elena Gutkina et Nadia Zakharova.
Remerciements particuliers à Genrikh Ignatov.