SQL Error ARDECHE IMAGES : Nouvelles inattendues
Les États généraux du film documentaire 2020 Nouvelles inattendues

Nouvelles inattendues


En 2020, la programmation « Route du doc » avait pour destination l’Autriche, avant que tous les déplacements ne soient suspendus. Nous irons cet automne, nous l’espérons, rencontrer notre collègue et futur interlocuteur pour cette programmation à deux regards, pour qu’une voix s’incarne enfin et que le travail en commun puisse commencer. Impossible d’imaginer mener entièrement virtuellement ce travail, tant il repose sur la collaboration et sur la rencontre avec non seulement un coprogrammateur, mais également avec les films et leurs auteurs. Cette période d’incertitudes nous a amenés à prendre des nouvelles de proches collaboratrices, et la perspective d’une programmation en ligne nous a conduits à la repenser autrement. Nous avons ainsi sollicité Cláudia Mesquita et Kumjana Novakova, engagées sur les précédentes « Route du doc » Brésil et Yougoslavie : « Vous connaissez Lussas et son festival, vous y êtes venues et avez accompagné des films, vous connaissez l’importance de la rencontre autour des films que nous essayons de privilégier. Dans cette situation si particulière, cette impossibilité de pleinement se retrouver, en pensant à Lussas et à ce que vous y avez vécu, en imaginant une modeste projection de par le nombre de spectateurs, mais une projection réelle, quel film souhaiteriez-vous partager avec nous ? » Elles nous ont répondu immédiatement et nous ont proposé les nouveaux films de cinéastes que nous avions déjà présentés. Nous les avons regardés, en avons parlé comme nous le faisons habituellement, et nous vous proposons dans cette programmation « Nouvelles inattendues » Où est Edson ? de Dácia Ibiapina et Oroslan de Matjaž Ivanišin (présentés ci-après), aux côtés de deux films qui se sont imposés pour nous : les derniers films de Susana de Sousa Dias et Digna Sinke, cinéastes programmées également lors de précédentes « Route du doc » Portugal et Pays-Bas.
Susana de Sousa Dias explore au Brésil, dans Fordlandia Malaise, la mémoire d’un territoire colonisé puis abandonné, mais toujours peuplé. Les récits du présent, par les yeux des enfants ou ceux de l’oppression et de la révolte flottent sur la ville comme des surimpressions, telle une mémoire suspendue au-dessus d’une terre arrachée. Attachement à la terre ici et attachement aux objets là-bas. Autre exploration plus intime de l’incarnation d’une mémoire, Digna Sinke avec Keeping & Saving – or How to Live observe nos rapports aux objets et aux collections, entre obsessions et mémoire, une manière de suspendre le temps pour conjurer la mort. Pas moins peut-être que pour pointer une tendance à la dématérialisation, portée par une numérisation croissante et une pulsion d’accumulation, qui nous éloigne sans doute de notre relation tactile au monde.
Quatre films aux approches formelles très différentes, choisis également parce qu’ils résonnent tout autrement aujourd’hui.

Pascale Paulat, Christophe Postic


Où est Edson ?

Le nouveau film de Dácia Ibiapina s’allie aux mouvements sociaux engagés dans la question du logement pour raconter des épisodes récents de l’histoire de Brasilia d’un autre point de vue que celui des soi-disant « vérités » construites par les grands médias brésiliens. L’événement qui traverse tout le film est celui de l’expulsion violente par la police en 2016, de ceux qui occupaient l’Hôtel Torre Palace, au cours d’une véritable opération de guerre – qui a coûté une fortune au Trésor public pour défendre un patrimoine privé. Le film révèle cet événement comme un paradigme de la criminalisation des mouvements populaires, ainsi que de la connivence avec le pouvoir économique qui anime historiquement l’État au Brésil.
L’un des tours de force du film est de situer l’urgence de la lutte (dans un pays dont le manque d’habitations s’élève à 7,8 millions de logements) dans le cadre politique actuel – non pas de manière explicative, mais à travers l’élaboration des temporalités par le montage. D’autre part, en suivant le parcours d’Edson, le film met en lumière les nuances du positionnement de la gauche brésilienne : il rompt avec le MTST (Mouvement des Travailleurs Sans Toit), lui reprochant sa supposée adhésion à la politique institutionnelle (encore sous le gouvernement du Parti des Travailleurs). Par l’entrelacement de la trajectoire d’Edson avec des portraits singuliers d’autres personnes engagées dans les occupations, le film nous présente un leader au plus près des attentes du mouvement, dont les idées et les actes déjouent la criminalisation opérée par les images médiatiques reprises dans le montage.
L’appropriation des images de la police mérite d’être soulignée. Détournées de leur intention d’origine, elles exposent la mise en scène grotesque des agents de l’État, donnant à voir (y compris par ce qu’elles ne montrent pas) la perversité d’une opération de guerre dont les « ennemis » sont des citoyens brésiliens vulnérables qui luttent pour leurs droits constitutionnels. Il s’agit encore d’une « guerre de et par les images », comme l’a écrit Fábio Filho [1] – leçon fondamentale d’Où est Edson ?, film plus que nécessaire que nous aimerions partager avec le public de Lussas.

Cláudia Mesquita

Remerciements à Vinícius Andrade Oliveira pour sa relecture et à Vitor Zan pour la traduction.

1. http://alagoar.com.br/enquadrar-o-enquadrador/


En ce moment particulier : pour le réel

Partager le cinéma est complexe. Dans tous les sens du terme. Depuis la nécessité d’offrir les conditions techniques adaptées à chaque œuvre en particulier, jusqu’aux besoins que les projections doivent plus largement combler, sur le plan de la production et du financement. Mais avant tout, comment partager le contexte social et culturel que chaque film porte en lui ? Comment amener les complexités que chaque œuvre de cinéma déploie devant nous ?
La pandémie actuelle a renforcé toutes ces questions, avec lesquelles les curateurs et programmateurs se débattent constamment. Christophe et Pascale m’ont invitée à partager un film en ce moment particulier, en me demandant de penser au festival de Lussas, et surtout à un public restreint, mais réel.
Un public réel. Et si c’était notre dernier public réel ? Et si cet été était celui qui verrait le dernier écran réel partagé par un public réel ?
Le cinéma rassemblera le village. Il y aura peu de représentants de l’industrie du cinéma qui va tambour battant. Peut-être quelques programmateurs de festivals, mais tous bienveillants, et des spectateurs locaux.
J’entre dans le cinéma de Lussas. Un film commence, je suis au village et avec le village. Le film est partagé par des voisins sur un grand écran réel. Pendant la journée, ils partagent le marché, le soleil qui ne s’éteint jamais l’été, le café. Ils partagent la tendresse et la rudesse de leur vie. C’est leur vie et celle de personne d’autre. Soudain, je commence à penser aux familles et aux personnes qui sont dans la salle de cinéma. Les histoires de famille et les histoires de vie ne sont jamais les mêmes, mais similaires dans leurs particularités. Je suis à Lussas – le village. Je suis à Gornji Senik – le village d’Oroslan.
Une façon simple d’être ensemble. Des événements et des non-événements. Des histoires, principalement. À propos de toi, d’elle, d’Oroslan, de nous. Comme à Gornji Senik, les histoires que nous racontons sont les histoires qui nous accueillent. Et qui font attention à nous. Sans trame épique.
La vie est réelle.

Kumjana Novakova