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Les États généraux du film documentaire 2020 Entre passation et passage à l’acte

Entre passation et passage à l’acte


L’année 2020 devait être celle où l’école documentaire et son Master fêteraient joyeusement leurs vingt ans. Nous avions imaginé, à cette occasion, proposer pendant les États généraux du film documentaire un séminaire, des projections, un livre, un bal bien sûr. Le rendez-vous est reporté à l’année prochaine : il faut bien une année entière pour fêter ses vingt ans.
À l’opposé d’une célébration – où l’enterrement toujours menace –, nous voulons réunir les indices et les traces d’un présent sans cesse renouvelé. Une façon d’interroger et de confronter ce qui, depuis une génération maintenant, demeure vivant et donc d’abord, incroyablement, mystérieusement fragile.
Cette vulnérabilité qui est l’autre nom de la vie, et dont nous venons de faire la commune expérience, est au cœur de ce que cette école s’efforce de ne pas perdre de vue ; tout comme le font les films que nous présentons ici, qui se risquent à la rencontre de ce qui pourrait ne pas advenir. Ainsi, Marie Dault, à l’occasion d’un premier film réalisé en autoproduction au Venezuela, entend parler de cette promesse faite par le gouvernement de Chavez aux habitants des favelas : un titre de propriété en échange d’un récit, d’une lettre écrite par ceux qui, pour ne pas mourir, avaient en une nuit construit là leurs maisons en même temps que leur histoire. À l’occasion des repérages de la résidence d’écriture, Marie vérifie que ces textes existent, qu’ils ont bien été écrits et que, déposés dans les archives, ils attendent Chronique de la terre volée, le film qui les sortira de là et les donnera au monde qu’ils embellissent de leur existence.
Cinq ans durant, tandis que le combat collectif des favelas s’effrite sous les coups d’une Histoire qui s’acharne à contredire leur espoir, le film, emporté dans les vents contraires, tient son cap et résiste, tout comme ceux et celles qui s’acharnent à ne pas renoncer au possible, à l’espérance promise. Celles et ceux dont les visages, les voix vont prendre place dans nos mémoires de vivants, tandis que nous nous souviendrons aussi des fils électriques entremêlés comme leurs vies au-dessus des toits de tôle qui les abritent.
Le film de Margot Dupuis De vin, de poésie ou de vertu se risque ailleurs mais tout aussi intensément dans un corps à corps avec le bonheur possible, ici et maintenant, ensemble. Comment filmer sans renoncer à être avec ? Comment être à la fois derrière la caméra et tout entière dans l’expérience de l’imprévisible, d’une intensité sans cesse menacée d’un risque d’effondrement ? Boire avec les dieux, le film de fin d’études de Margot Dupuis, posait déjà, dans une forme d’épiphanie, les données de ce pari magnifique.
Filmer comme passage à l’acte. Filmer le passage à l’acte, au risque d’un acte manqué, inaccompli. Ces deux films ont été produits en cette année en 2020 qui nous a si paradoxalement séparés et réunis comme nous ne l’avions jamais été. L’un et l’autre mettent en jeu une expérience que l’école a à cœur de rendre possible : celle, pour reprendre les mots de Claudio Pazienza, qui nous fait la joie d’associer un de ses tout premiers films à cette programmation, « d’un partage tacite d’une certaine idée de cinéma. Pas toujours tacite, en réalité. Et à travers cela, de partage tout court ». Moins une école, d’ailleurs, qu’un laboratoire, un chantier où une communauté inattendue se constitue au gré d’un désir premier, de ses incertitudes et doutes qui se croisent et se partagent, mais aussi s’exposent « au risque d’être ridicules (côté intervenants et côté étudiants), risque noble, non exempt de tension ».
Communauté en mouvements, en question, rétive à toute forme d’institutionnalisation, agie par son présent, qui fait écho à celles que les deux films présentés ici regardent et accompagnent.
Qu’est ce qui se passe, demeure, disparaît entre ce travail premier de défrichage, de mise en commun et le film arraché au réel ? C‘est ce que nous tenterons d’interroger à l’occasion de cette programmation.
Sans oublier que ces films, comme tant d’autres, ont été rendus possibles par une autre communauté, celle des « Rencontres premiers films » qui réunissent, autour de ces jeunes auteurs passés par l’école, des producteurs audacieux, soutenus par quelques télévisions et la plateforme Tënk, pour que des films, fragiles comme la vie, voient le jour.

Chantal Steinberg


D’autres films réalisés par des étudiants du Master au sein de l’École documentaire de Lussas viendront compléter cette programmation sur la plateforme Tënk du 20 août à 21h au 6 septembre à minuit.


Débats animés par Chantal Steinberg.
En présence de Marie Dault, Margot Dupuis, Agnès Bruckert et Jacques Deschamps.