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Les États généraux du film documentaire 2021 Route du doc : Autriche

Route du doc : Autriche


Le cinéma implique le mouvement – des images, des souvenirs et des histoires. Le fait d’être en mouvement, et peut-être le rejet des frontières, peuvent être considérés comme les conditions de base du cinéma. Ils révèlent ainsi simultanément l’idée d’une cinématographie nationale comme étant, en tout cas, contradictoire.
Alors comment retracer son histoire ?
Illustrant le cinéma documentaire autrichien de 2010 à 2020, le programme « Route du doc » se concentre sur des points de vue venant de l’extérieur, ou portés vers l’extérieur. Des approches qui se rassemblent sous la bannière du « film documentaire autrichien » et qui, en même temps, le mènent ad absurdum : des points de vue de personnes aux motivations curieuses, de nouveaux Autrichiens et d’Autrichiens établis de longue date, de professionnels du cinéma et d’amateurs. Des regards du présent vers des passés possibles. Des regards qui errent d’ici vers l’avenir.
Un film du début des années 2000 introduit le programme : Phantom Foreign Vienna de Lisl Ponger, montage d’un journal Super 8 montrant la vie quotidienne à Vienne, où presque toutes les nations et ethnies sont représentées. La cinéaste a capturé les formes, les rituels et les pratiques de leurs rassemblements, la préservation de l’identité, la célébration (de la cohésion), la danse – être en mouvement.
En ce sens, son film devient le reflet de l’ensemble du programme : imprégné de mouvements réels et cinématographiques de désir, d’évasion et de voyage, le cinéma autrichien s’avère être une terre de transit, la situation géographique devenant une sorte d’état intermédiaire temporaire.
En six programmes, douze films (sept longs métrages, cinq courts métrages) donnent une idée du cinéma documentaire autrichien. Cette limitation à quelques œuvres seulement est heureuse : elle déjoue d’emblée toute forme de représentativité et tous les pièges qui lui sont associés. Et pourtant, des noms manquent, comme Ulrich Seidl, Michael Glawogger et Patric Chiha, dont les styles uniques ont largement contribué à la réputation internationale du cinéma autrichien. L’accent est plutôt mis sur des films qui ont, en partie, rarement été vus, injustement – le grandiose essai de Bernadette Weigel, Fair Wind – Notes of a Traveller, par exemple, ou When It Blinds, Open Your Eyes d’Ivette Löcker. Ou encore des premiers films qui posent déjà les fondations de la carrière ultérieure de leur auteur (And There We Are, In The Middle de Sebastian Brameshuber) ainsi que des films qui se lancent à la recherche d’indices sur ce qui se cache derrière les images (How We Live – Messages to the Family de Gustav Deutsch, Doppelgänger de Michaela Taschek, The Pimp and His Trophies d’Antoinette Zwirchmayr, Operation Jane Walk de Robin Klengel et Leonhard Müllner). Un nombre frappant d’œuvres rassemblées ont choisi le support argentique comme forme d’expression artistique (Notes from the Underworld de Tizza Covi et Rainer Frimmel, par exemple) et beaucoup sont représentées dans le remarquable catalogue du distributeur autrichien sixpackfilm. Il ne serait pas juste d’y voir une tendance générale – le travail des autres distributeurs de films autrichiens (Filmladen, Stadtkino, Filmdelights, Filmgarten) est trop précieux. Néanmoins, les approches formelles individuelles, courageuses, en partie expérimentales, mais toutes singulières, constituent une base pour contempler les antécédents du cinéma autrichien et pour arriver à comprendre un peu mieux l’Autriche.
Vu de l’extérieur, en termes de structure, le cinéma autrichien est souvent décrit comme très privilégié. Une loi sur l’aide au cinéma est en vigueur depuis 1980, ce qui peut être interprété comme un engagement de la politique culturelle en faveur d’une industrie cinématographique fonctionnelle et stable, ainsi que du cinéma d’auteur autrichien. Avec ce que l’on appelle le « financement des petits films », le grand frère de l’Institut autrichien du film dispose d’un fonds de financement qui, bien que chroniquement sous-doté, aide à financer les formats courts et expérimentaux. Une situation plutôt unique dans le contexte international.
Si le cinéma documentaire autrichien, tout comme le cinéma de fiction, a connu un succès international dans les festivals, son importance en Autriche est néanmoins négligeable et de nombreuses œuvres restent, pour la plupart, inédites. Malgré une solide infrastructure de cinéma (d’art et d’essai), aujourd’hui comme hier, les chiffres au box-office local sont faibles, une situation encore renforcée par le Covid-19. Comme l’a dit la théoricienne du cinéma Christa Blümlinger, il y a un manque général de sensibilité en Autriche pour un média qui questionne la réalité et réfléchit aux conditions sociales. On peut considérer son analyse de la répression du film documentaire en Autriche comme un modèle pour comprendre l’identité de la nation. Face à sa culpabilité de guerre, l’Autriche a trop longtemps choisi de minimiser et de détourner le regard. La théorie de l’Autriche comme première victime du national-socialisme a commencé à grandement vaciller avec la campagne de Kurt Waldheim pour la présidence en 1986. À la suite de la révélation des activités initialement dissimulées de Waldheim en tant qu’officier des SA pendant la seconde guerre mondiale, la politique ainsi que la société civile ont dû réfléchir à la responsabilité des citoyens autrichiens dans les atrocités de la Shoah. Pour un public orienté vers l’art et la culture, et au sein du cinéma autrichien en particulier, cette phase a fonctionné comme un moment de politisation. Auparavant, le cinéma avait contribué à façonner une atmosphère d’oubli et de répression – le mythe autrichien de la victimisation et de l’innocence : les Alpes idylliques, les films de la « Heimat » et le cinéma kitsch ont dominé le paysage cinématographique des années d’après-guerre et ont été commandés par les pouvoirs publics pour promouvoir cette image spécifique et ainsi, le tourisme. À partir des années 1970, les films ont évolué sous l’étiquette de « nouveau cinéma autrichien » pour devenir une constante active au sein d’une rébellion plus large de la contre-culture. Des réalisateurs tels que Ruth Beckermann, qui est représentée dans le programme avec deux films, ont affiné leur profil au cours de cette phase et sont devenus les figures de proue d’un cinéma d’auteur politiquement ouvert et critique qui a obtenu une reconnaissance internationale (son récent film Waldheim’s Waltz est la conséquence ultime de cette évolution). Ils sont devenus des modèles pour les générations suivantes en déconstruisant radicalement la sacro-sainte identité nationale dans son ensemble et en formulant avec une extrême clarté, voire comme un impératif : « oubliez l’Autriche » – et avec cela, également les étiquettes et les frontières, tant formelles que géographiques. Ou bien : réfléchir et thématiser l’Autriche, son histoire, ses conditions, comme le suggère Nikolaus Geyrhalter dans son épique observation au long cours Over the Years.
En ce sens, le présent programme ne fournit pas de carte précise, mais suggère plutôt un itinéraire qui tend à aller au-delà de l’évidence : des bas-fonds viennois aux canyons urbains animés de New York. Des amis à la famille et aux êtres chers. Entre les deux : danser, conduire, fumer, s’attarder… Un programme à apprécier comme une offre sensuelle, celle d’une rencontre cinématographique fortuite – avec l’Autriche et le monde.

Sebastian Höglinger



Une programmation de Sebastian Höglinger (Festival Diagonale, Graz) et Christophe Postic.
En présence de Sebastian Höglinger. Avec le soutien du Forum Culturel Autrichien de Paris.