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Les États généraux du film documentaire 2021 Fragment d’une oeuvre : Annik Leroy

Fragment d’une oeuvre : Annik Leroy


J’ai accompagné Annik Leroy depuis son premier long métrage, Berlin, de l’aube à la nuit, et je l’accompagne avec toujours autant d’envie sur le film qu’elle réalise aujourd’hui, Failles.
Le premier film d’Annik se regarde comme une méditation sur les cicatrices d’une ville marquée par l’histoire en résonance avec ses propres questionnements sur l’existence, démarche qu’elle poursuivra tout au long de ses films : confronter l’histoire sombre de l’Europe à celle de ses personnages, souvent des inconnus, parfois des écrivains, des artistes, touchés pour la plupart au plus profond d’eux-mêmes par les souffrances des guerres et des conflits intérieurs qui en découlent. Berlin est à l’époque des années quatre-vingt l’endroit d’un tournant pour l’Europe politique et de remise en question pour les nombreux artistes qui s’y réfugient. Quel lieu mieux que Berlin pouvait offrir à la réalisatrice ces images en noir et blanc tournées sur pellicule 16 mm, un support qu’elle ne quittera plus ? La ville devient chez elle un personnage avec lequel elle dialogue, comme le sera ensuite le Danube dans Vers la mer, un paysage froid et inquiétant, comme les rues dépeuplées de Berlin la nuit, mais tout aussi marqué par l’histoire sinistre de l’Europe centrale au vingtième siècle. Les lieux sont vides, mais à Berlin avec Michel Palmier comme accompagnateur invisible, ou le long du fleuve avec Claudio Magris comme guide érudit, Annik s’affirme comme auteure d’un cinéma de l’errance poétique.
Vers la mer, le second film d’Annik, que j’ai accompagné comme producteur au travers des images qui me parvenaient des tournages, est une traversée de l’Europe de la Forêt-Noire à la mer Noire. Le film nous plonge dans cette Mitteleuropa, vécue comme un monde en transition, rythmé par les saisons, par le caractère intemporel du fleuve, par les petites et grandes histoires des personnages rencontrés au hasard du voyage, jamais spectaculaires, toujours intimes. Le cinéma d’Annik est celui du détail, de la rigueur des images et des cadres. Les petites choses insignifiantes à première vue, une phrase, un son caractéristique du lieu, comme les annonces de métro à Berlin, ou bien une image dépouillée mais chargée de sens, comme le pas de porte de la maison de Kafka, à Vienne, suffisent à Annik Leroy pour exprimer des sentiments profonds. C’est la magie d’un cinéma fort, personnel et épuré de ses oriflammes. Ce qui me touche encore fortement dans Vers la mer, c’est la musique des langues, la diversité et la douceur des mots, les phrases simples qui relient des gens qui se demandent encore où va et d’où vient le Fleuve, qui prennent encore le temps de la réflexion et à qui le film laisse ce temps.
Il aura fallu un long moment à Annik pour achever le troisième volet de son œuvre, Tremor. Davantage pour des raisons de production que d’inspiration, car comme lors de ses films précédents, Annik poursuit sa même recherche, une rencontre entre un lieu, les paysages désertiques de l’Islande, qui résonnent avec d’autres paysages dévastés d’Europe, et des voix singulières d’artistes disparus et marqués par la violence du monde. Parfois de simples textes en surimpression dans l’image, parfois l’enregistrement d’une voix que l’on croyait perdue viennent nous rappeler que le cinéma est un vecteur incroyable d’émotions inattendues. Les souffrances dont parle Annik n’ont pas d’images, elles sont sous la peau, derrière la pellicule. C’est tout son art de les faire jaillir là où le cinéma n’a pas l’habitude d’aller les chercher. Les films d’Annik sont complexes, ils interrogent le monde actuel au travers du passé, mais elle est encore une cinéaste qui s’exprime par le biais du langage qu’elle a choisi d’utiliser, le cinéma, non pas celui qui sert de support d’informations, mais celui d’une discipline artistique.

Daniel De Valck


Séances animées par Daniel De Valck.
En présence d’Annik Leroy.