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Les États généraux du film documentaire 2019 Route du doc : Vietnam

Route du doc : Vietnam


L’histoire cinématographique du Vietnam est relativement ancienne. Sous la colonisation française, une industrie du cinéma existait déjà, avec la présence de Pathé à Saïgon, mais ceci reste anecdotique si l’on considère la véritable genèse du cinéma vietnamien. Le Vietnam compte aujourd’hui encore parmi les rares pays communistes dans le monde et son histoire du cinéma débute véritablement sous ce régime. Dès les débuts de la révolution, le cinéma prend une place très importante et, comme dans de nombreuses guerres de libération, il est utilisé comme arme de propagande.
En 1986, date de ce que l’on appellera le « Doi Moi », le « renouveau » en vietnamien, (l’équivalent de la Perestroïka en URSS), un autre cinéma commence à émerger. D’abord avec le cinéma de fiction, toujours sous le contrôle du ministère de la propagande, qui s’attèle à raconter « d’une manière plus souple » ce qui constitue le socle du cinéma vietnamien encore aujourd’hui : raconter et interroger la société dans sa complexité. Ces questionnements sont à la fois la force et la douleur du cinéma vietnamien, pris entre un désir d’interroger sa société et des difficultés à exprimer un point de vue singulier. L’expression individuelle peine à trouver sa place sous le joug d’une organisation sociale séculaire complexe et très présente, puis face à un contexte économique contemporain bouleversé qui voit le pays tiraillé entre socialisme et économie de marché ultralibérale.
Ce n’est qu’au début des années 2000 que la concordance de différents éléments facilite l’émergence du cinéma documentaire, sous la forme du cinéma direct. La volonté de quelques jeunes cinéastes vietnamiens et l’arrivée de capitaux étrangers comme la fondation Ford, ainsi que l’ouverture du pays facilitant les échanges culturels, ont conduit à la création de trois lieux fondateurs pour le cinéma documentaire, le TPD Movie Center, les Ateliers Varan et plus tard DocLab, en plus de l’université de cinéma de Hanoï SKDA.
Au milieu des années 2000, le retour d’une partie de la jeune génération de la diaspora vietnamienne et l’entrée du Vietnam dans l’OMC en 2007 correspondent à un tournant dans le pays. Les années 2010 sont marquées par l’arrivée du cinéma commercial et l’implantation massive de multiplexes. Cent millions d’habitants et une classe moyenne émergente découvrent la société des loisirs. Le cinéma commercial devient la part la plus importante de la production cinématographique vietnamienne. Puis en 2015, le passage de la classification de « pays en voie de développement » à « pays émergent » modifie considérablement les moyens pour produire un film, favorisant l’industrie cinématographique commerciale au détriment d’un cinéma plus artisanal et artistique. Le cinéma d’auteur, essentiellement de fiction, apparaît à la fin des années 2000 et est le premier à s’exporter à l’international, à travers des sélections dans des festivals prestigieux. La majorité de ces films est coproduite par des sociétés de production étrangères (française, américaine, allemande, japonaise, coréenne, etc.).
Le cinéma documentaire est un peu le laissé-pour-compte du cinéma vietnamien. Il a permis aux jeunes réalisateurs (aussi bien de fiction que de documentaire) de « tuer le père » en se détachant du cinéma de propagande et de s’essayer à d’autres formes d’écriture. Cependant, il est aujourd’hui à la marge et confronté à de grandes difficultés de production. Quelques aides publiques existent encore au Vietnam, mais elles sont exclusivement réservées aux rares films de « propagande » produits par les studios nationaux.
D’autre part, le cinéma documentaire n’est pas considéré comme rentable et ne peut espérer aucune aide dans le système économique actuel alors qu’il pouvait s’appuyer, il y a quelques années encore, sur quelques financements d’ONG ou d’organismes publics internationaux. La majorité des films documentaires sont maintenant autoproduits, décrochant parfois un mécénat ou exceptionnellement une aide à la post-production grâce à l’appui de festivals étrangers (Pusan, etc.).
Si le Vietnam est très connu pour son passé et pour les guerres qui l’ont accablé, il l’est peut-être insuffisamment au présent : la richesse humaine de ce pays reste encore méconnue. L’orientation des films documentaires produits ces dix dernières années semble se démarquer de l’approche des générations antérieures, mobilisées par la guerre et l’idéologie. Aujourd’hui, les réalisateurs abordent sous un angle plus intime des questions essentielles qui traversent la société vietnamienne, avec parfois une ironie à laquelle ne pouvaient se risquer leurs prédécesseurs. Et si la critique reste difficile, mal accueillie par les autorités, les personnages du réel viennent au secours des jeunes réalisateurs, se livrant généreusement à l’image : ils montrent la complexité de la vie et donnent une profondeur nouvelle aux films.
L’essentiel de la production documentaire était commandité par l’État et diffusé à la télévision. Elle était formatée à la durée de trente minutes, et tous les films étaient accompagnés d’une voix off à visée le plus souvent didactique, au détriment bien sûr de la richesse de la bande-son. Ce conformisme a non seulement éloigné le public de ce cinéma si aimé, mais a aussi désabusé des réalisateurs et cadreurs talentueux des studios d’État. Le renouveau du documentaire vietnamien coïncide avec la présence des Ateliers Varan au Vietnam de 2004 à 2011. Les anciens stagiaires, devenus cinéastes indépendants, ont pris le relais et organisent aujourd’hui les ateliers de réalisation (le dernier en date a eu lieu en juillet dernier à Hô-Chi-Minh-Ville). Avec l’introduction de cette forme de cinéma direct et particulièrement le son direct, un autre rapport à la réalité s’est établi pour les réalisateurs. On trouve dans ces films de stage beaucoup de spontanéité et la notion du jeu a pris de l’importance. Dans cette forme de cinéma, les personnages du réel peuvent rire, pleurer, être grossiers, se mettre en scène de façon si spontanée et authentique que la censure, sensible à tout ce qui relève du symbole, semble complètement désarmée, tandis que le public, qui s’identifie fortement, est enthousiaste. Ainsi, Le Dernier Voyage de Madame Phung est tout autant un film sur les transgenres que sur la désolation de la campagne vietnamienne, où la corruption est directement montrée, et où l’idéal de la police, des « soldats de l’oncle Hô », se trouve bafoué. Ce film a pu être présenté intégralement à un très large public, sans aucune coupure de la censure. Il reste aujourd’hui le film documentaire le plus vu. Au passage, notons que le film Finding Phong, sorti en salle en France en 2018, a reçu un visa assorti d’une interdiction aux moins de douze ans alors qu’au Vietnam, la distributrice a obtenu un visa d’exploitation tout public. Depuis Avec ou sans moi, le premier long métrage documentaire « Made in Vietnam », puis ensuite avec Le Dernier Voyage de Madame Phung, le premier documentaire sorti sur grand écran depuis vingt ans, les réalisateurs deviennent « producteurs » de longs métrages documentaires, un format qui reste très rare dans la production globale du documentaire.

Il y a trois approches dans cette programmation qui correspondent à trois manières de construire des récits pour tenter de s’inscrire dans une histoire contemporaine. Des films documentaires, des fictions et des films d’artistes. Les films documentaires sont au plus près des personnes. Dans une forme de cinéma direct, on s’intéresse à une situation, un lieu, on approche la famille, le collectif, l’individu et les histoires surgissent. Les fictions reposent souvent sur des ambiances, des errances, et moins sur des histoires ou des scénarios, ou alors très ténus ou déliés. On y ressent souvent le désir de raconter des sentiments, par le choix d’un acteur et d’une mise en scène. Et d’une certaine façon, les films d’artistes présentés ici font le lien entre une réalité documentaire et un récit imaginé. Ils cherchent de manière manifeste une forme et parviennent à relier l’attachement à une sensation avec un récit ou une idée. Ils sont plus libres et hybrides dans leur forme. Mais au-delà de ces approches formelles différentes, on peut déceler dans les films vietnamiens une difficulté à se reconstruire comme individu, dans une société collective où toute parole ou pensée singulière est toujours très encadrée, aussi bien politiquement que socialement. L’expression d’une singularité face au collectif reste délicate. Ainsi, l’expression des sentiments dans les récits s’appuie souvent sur des éléments fictionnels plus libérateurs.

Tran Phuong Thao, Arnaud Soulier, Christophe Postic


En présence des programmateurs.
Avec le soutien de l’Institut français du Vietnam et nos remerciements à Frédéric Alliod.
Remerciements à tous les réalisateurs et producteurs des films programmés.