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Les États généraux du film documentaire 2021 Histoire de doc : Hongrie, au studio Béla Balázs

Histoire de doc : Hongrie, au studio Béla Balázs


À l’arrivée au pouvoir de János Kádár en 1956, après la désastreuse insurrection de Budapest réprimée dans le sang par les Soviétiques, la nationalisation de l’industrie cinématographique était accomplie depuis longtemps [1], alors que de nombreux problèmes non résolus et trop de désirs frustrés pesaient sur la nouvelle génération de cinéastes. Pour eux, entrer dans l’industrie cinématographique d’État signifiait un long apprentissage, l’angoisse de la création entravée, une condamnation à la petite routine bureaucratique des fonctions subalternes.
C’est en interprétant ce malaise et ces envies qu’en 1958, György Palásthy, un jeune scénariste, réunit autour de lui un groupe de jeunes camarades, insatisfaits de leur travail d’assistants réalisateurs et désireux d’apporter de l’air frais au cinéma officiel. C’est ainsi qu’est né un nouveau Stúdió, le plus important atelier de cinéma expérimental et du jeune cinéma hongrois, empruntant son nom au plus grand théoricien hongrois du cinéma, Béla Balázs. Le choix du nom n’était pas fortuit : Balázs avait écrit que « le cinéma, qui est l’art du voir, ne doit pas rester entre les mains de ceux qui ont beaucoup à cacher ». Il pensait donc que la caméra devait être mise entre les mains de ceux qui avaient quelque chose à dire, et qui savaient comment le dire. Le groupe réussit à trouver le soutien du département du cinéma du ministère de la Culture, qui mit à sa disposition un certain budget pour la création d’œuvres expérimentales, les exemptant des obligations et des longues procédures bureaucratiques – mais exigeant l’approbation préalable du sujet. Pendant cette première phase, le Stúdió était une sorte de ciné-club : les jeunes vivaient en groupe, regardaient des films, en discutaient ensemble, imaginaient un nouveau cinéma au même titre que bien d’autres groupes de jeunes cinéastes des deux côtés du rideau de fer. Mais ils ne parvenaient pas facilement à passer à la réalisation, et le Stúdió fut dissous.
En 1961, un deuxième groupe de réalisateurs et de chefs opérateurs reconstitue le BBS. Il s’agit des jeunes issus de la classe de mise en scène du cinéaste et professeur Félix Máriássy. Leurs noms figurent désormais dans tous les livres d’histoire du cinéma, ce sont les auteurs du nouveau cinéma hongrois des années soixante et soixante-dix : István Szabó, Judit Elek, Pál Gábor, Zoltán Huszárik, István Gaál, Sándor Sára, Ferenc Kósa, Ferenc Kardos, Imre Gyöngyössy. L’État intervint pour soutenir l’initiative autonome de ces jeunes réalisateurs qui s’auto-géraient et décida de financer tous les ans une dizaine de courts et moyens métrages « inventés » collectivement, débattus ensemble, puis confiés à l’un ou l’autre des membres du groupe pour en assurer la réalisation.
Il n’y avait pas d’obligation de distribuer les films dans les salles de cinéma, et surtout, comme il s’agissait d’un studio expérimental, aucun scénario traditionnel n’était nécessaire, aucun point de vue commercial n’avait à être pris en compte : c’était la direction élue par les membres du Stúdió lui-même qui décidait de présenter ou non les films au public, et sous quelle forme, ce qui donnait aux jeunes réalisateurs la possibilité d’expérimenter sans censure, autocensure, ni compromis. Les films qui suscitaient le mécontentement des autorités pouvaient faire l’objet d’une distribution extrêmement limitée ou être carrément interdits à leur achèvement. Mais personne ne leur interdisait de les réaliser, et de les réaliser avec un degré remarquable de liberté créative.
La méthodologie du travail collectif touchait toutes les phases de la production, mais cela n’empêchait pas les poétiques et les styles personnels : au contraire, elle les développait et les mettait en relation. Le choix essentiel a été de ne pas institutionnaliser le BBS, mais de garder sa structure ouverte à la collaboration des jeunes qui sortaient progressivement de l’École d’art dramatique et de cinéma de Budapest. Le BBS était géré directement par ses membres : c’était un atelier et un lieu de rencontre où les jeunes auteurs avaient la possibilité de se concentrer sur leurs interrogations à travers des débats, des confrontations, des lectures et des relectures de films classiques et nouveaux, mais également par le biais des relations établies avec d’autres cercles de culture cinématographique à l’international. L’atelier BBS garantit ainsi à tous les jeunes la possibilité de s’essayer à la réalisation d’un court métrage « qualifiant ». Cette opportunité épargnait aux auteurs novices un long apprentissage d’assistant réalisateur, démontrait l’efficacité du travail collectif et favorisait l’émergence de nombreux talents. Les cinéastes cherchaient leur voix et leur style, expérimentant de nouvelles solutions formelles dans l’atmosphère politiquement et artistiquement libre du Stúdió.
Les films de cette première période du BBS sont souvent des documentaires expérimentaux, des études lyriques dans lesquels l’intérêt pour la vie sociale est figuré par une expression personnelle et une recherche esthétique de type formaliste. À partir des années 1967-1968, c’est la fin de la première phase du BBS : les thèmes et les formes commencent à changer, ainsi que les noms des auteurs. Le court ou moyen métrage n’est plus un tremplin pour la pratique du long métrage, mais devient une forme autonome. Tout en conservant sa fonction de « terrain d’entraînement », le BBS commence à ouvrir ses portes à des artistes non diplômés en cinéma. Ce nouveau cercle de liberté attire les artistes marginalisés de la (néo-)avant-garde des années soixante-dix, et le Stúdió devient un lieu de rassemblement pour les idées alternatives et subversives, tant linguistiques-artistiques que socio-politiques. Les diplômés en cinéma se sont radicalisés à partir de 1968, dans un parcours toujours plus combatif : ils poursuivent la tradition sociale des années soixante, mais avec des films sociologiques, dans lesquels ils analysent les processus de la vie quotidienne et entrent souvent en conflit politique avec la lecture officielle de ces processus et des événements cachés de l’histoire hongroise. Dans la seconde moitié de la décennie, ils sont rejoints par des cinéastes extérieurs à la communauté cinématographique, notamment issus du cinéma amateur.
Les réalisateurs de cette deuxième génération ne se contentent plus de l’approche lyrique et subjective des phénomènes sociaux, ils dépassent le formalisme et cherchent dans le cinéma direct une forme pour analyser plus profondément la société. Un style ironique, parfois grotesque, et réflexif commence à s’imposer : Gyula Gazdag, Ferenc Grunwalsky, György Szomjas ne s’intéressent plus aux grands thèmes universels, mais aux changements de la société et à la réorganisation de sa structure, et leurs films essaient de rendre ces processus visibles et compréhensibles. Les sciences humaines et la sociologie deviennent les outils avec lesquels montrer dans le documentaire l’évolution de la société hongroise. C’est une période de grandes hybridations esthétiques : le cinéma direct se mêle à la fiction (Pál Schiffer et Dezső Magyar), l’improvisation à l’enquête sociologique (Judit Ember et István Dárday), l’expérimentation plastique à la recherche scientifique (András Szirtes et János Tóth). Des formes plus longues et des séries en plusieurs parties commencent à remplacer le court métrage.
Les années soixante-dix voient aussi l’émergence d’un cinéma plus strictement expérimental, marqué par des groupes créés au sein du Stúdió : Gábor Bódy, Miklós Erdély, Dóra Maurer, Tibor Hajas, Tamás Szentjóby sont les noms à retenir de cette mouvance caractérisée par une recherche formelle très radicale et ouverte aux apports des arts (Fluxus et minimalisme) et philosophies (structuralisme et linguistique) contemporaines. C’est une véritable néo-avant-garde, dont les travaux ont le plus souvent porté sur la recherche de la nature et du potentiel de l’expression cinématographique.
Nous arrêtons notre hommage au début des années quatre-vingt, quand de nouveaux changements voient le jour en brouillant les catégories de la décennie précédente. Le Stúdió s’intéresse de plus en plus à l’art vidéo, à la télévision et à la performance et alors que se manifeste une nouvelle sensibilité pour la narration, de nouveaux cinéastes commencent leur chemin au sein du Stúdió, tels András Jeles, Béla Tarr et Ildikó Enyedi.
Aujourd’hui, le BBS est un centre de recherche et d’archives, mais on n’y réalise plus de films. Dans son histoire, qui a duré cinquante ans, 271 réalisateurs ont franchi ses portes et 511 films y ont été réalisés : courts métrages, longs métrages, documentaires, essais, films d’animation, films expérimentaux. Tout cela dans des styles très différents et en conjonction avec un large éventail d’autres arts : photographie, littérature, musique, théâtre, arts visuels, mais aussi des disciplines telles que l’histoire, la sociologie, la pédagogie, l’ethnographie, l’anthropologie.
Une histoire et une expérience sans équivalent dans le monde.

Federico Rossin

1. La Hongrie, de tous les pays de l’Est de la sphère socialiste, fut le premier État à nationaliser l’industrie cinématographique : en 1919, à l’époque de l’éphémère République des Conseils de Béla Kun, György Lukács, alors commissaire à l’Éducation, fut le promoteur de la mesure, devançant de quelques mois Lénine et l’URSS.


En partenariat avec le National Film Institute Hungary – Filmarchive.