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Les États généraux du film documentaire 2022 Édito

Édito


Cette année, Jean-Paul Roux, le Maire de Lussas depuis trente-cinq ans, soutien indéfectible des activités dédiées au cinéma documentaire sur la commune, disparaissait. Puis, c’est le critique et cinéaste Jean-Louis Comolli qui nous quittait. Fidèle compagnon de route des États généraux du film documentaire, nous lui devons d’intenses moments de réflexion. Une page se tourne en 2022 mais leur mémoire va nous accompagner longtemps. Nous leur rendrons le plus juste hommage en poursuivant leur œuvre de transformation, celle d’une commune aux côtés de ses habitants pour l’un, et d’une pensée sur le cinéma et sa responsabilité politique pour l’autre.
Les temps changent et le monde est comme pris de convulsions, écrasé de violence et de torridité étouffante et inflammable, auxquelles répondent espoir et convictions. On appartient sans doute à une époque, une époque qui nous façonne et que l’on façonne en retour et nos engagements politiques ont aussi quelque chose d’intime. L’engagement du cinéma, la responsabilité à filmer peut permettre dans un film à des femmes de nous regarder, droit dans les yeux, posément en silence, et ailleurs peut pousser des hommes à détourner le regard, interpellés sur leurs actes par une cinéaste.
Si l’on peut toujours « refaire le monde », on peut surtout le faire en l’arpentant et, plutôt que « refaire l’histoire », la revisiter, l’interroger à nouveau. Le séminaire « Gênes 2001. Une mémoire de l’avenir » engagera ce travail de retour sur l’histoire et proposera une exploration de ce moment de rupture en essayant d’articuler archive, témoignage et expérience, pour comprendre comment cette époque se prolonge et se transforme. Comment l’histoire peut être reconstruite, pour déconstruire notamment celle façonnée par les tenants du pouvoir, pour redonner sens et place à l’expérience, c’est-à-dire à des fictions singulières. Sous une autre approche, ces questions seront également au cœur du dialogue entre les deux cinéastes Jyoti Mistry et Kumjana Novakova qui tentent, chacune à leur manière, de rendre visible des histoires éludées.
« C’est difficile de mettre des mots » disent les rescapés de la terrible catastrophe au Japon en 2011. Ce disant et en cherchant leurs mots, ils construisent leur propre fiction. Dans la « Route du doc : Japon », Voices from the Waves est un film sur la difficile catharsis par le langage, pour transformer le traumatisme de la réalité et l’imaginer. Qu’est-ce que le film transforme par l’acte de filmer et par son choix d’écriture ? À Cuba, le cinéma a été partie prenante de la Révolution et un foyer d’expérimentation politique et formel. Avec « Du politique au poétique », nous poursuivrons l’exploration d’un cinéma qui s’affranchissant, cette fois, du témoignage et de la parole, imagine d’autres esthétiques pour figurer le travail, l’exploitation et l’aliénation dans le sillage du livre de Leslie Kaplan L’Excès-l’usine, « transmettre le réel, pas la réalité ». Les formes imaginantes, fiction, poésie, expérimentation, permettent de transformer la réalité et de s’opposer aux états de fait. Voilà ce qui nous importe. Dans un film, cela passe parfois par un fragment, un moment, « un passage, qui recueille dans les images la trace d’une présence au monde » dit Mauro Santini, préoccupé par une poésie du regard avant même celle du film. Pour autant, le cinéma documentaire n’en est pas moins attentif aux personnes filmées et à la manière de les faire exister à travers une relation, mais aussi à travers l’exploration avec elles d’un espace au seuil de deux mondes distincts. C’est ce dont témoignent les films de « Docmonde » et « Expériences du regard », tout autant que les films choisis par les autrices et auteurs de la Scam, autre révélateur de la création documentaire.
L’ensemble des programmations de l’édition, donneront le ton de ce que Jean-Louis Comolli a, entre autres, inlassablement revendiqué, le cinéma comme expérience contre le spectacle comme marchandise. Dans un contexte politique inquiétant qui ne cesse de se dégrader et d’attiser les concurrences, alors que les salles de cinéma peinent à retrouver leurs spectateurs, l’importance de se retrouver cet été autour du cinéma documentaire pour des moments d’échanges et de travail en commun nous semble plus cruciale encore.

Pascale Paulat et Christophe Postic