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Les États généraux du film documentaire 2022 Docmonde

Docmonde


La programmation Docmonde rassemble des œuvres qui ont été développées à l’écriture lors de résidences organisées par l’association du même nom, dans différentes zones du globe. Les quatre films proposés nous viennent cette année d’Arménie, de Guyane, de Tunisie et de Géorgie. Les espaces qui y sont explorés n’ont a priori rien à voir mais ces écritures ont un trait en commun frappant. Leurs réalisateur·trice·s s’y sont placé·e·s auprès de leurs protagonistes, dans un interstice qui relie toujours deux « mondes » distincts : patriarcat et sororité, territoires ennemis, morts et vivants… Dans ce creux, ils·elles se sont fait·e·s passeur·euse·s, non seulement d’images mais d’histoires. Ils·elles sont allé·e·s explorer des espaces familiers qu’ils·elles côtoient ou ont côtoyé, tout en faisant l’immense travail de déconstruire leur regard, leur écoute, et de puiser dans ces interstices des questions qui interrogent ces mondes et leurs perméabilités.



Inna Mkhitaryan, réalisatrice de Tonratun, l'histoire de l'Arménie racontée par les femmes, ouvre son premier film sur un plan d’une beauté confondante, dont la lumière paraît inspirée de certaines peintures baroques flamandes. Dans le tonratun, fournil utilisé jusque récemment par les femmes pour cuire le lavash, pain traditionnel arménien, la mère de la cinéaste s’affaire à la préparation de la pâte. Au cœur de son dispositif, la cinéaste réactive cet endroit en lieu de cinéma, ayant bien compris qu’autour du tandoor, il ne s’agissait pas juste de faire du pain. La parole de ces femmes se déploie alors pour venir raconter comment les guerres successives et l’oppression millénaire du peuple arménien ont directement affecté les femmes dans leurs vies, jusqu’à leur maternité. Dans ce lieu essentiel de sororité au cœur d’une société profondément patriarcale, la réalisatrice cueille cette histoire de l’Arménie vue par les femmes.



Maradia Tsaava, dans son premier film L'Eau ne connaît pas de frontières, vient raconter l’histoire d’une autre région en conflit, dans un lieu radicalement différent. L’exploitation de la centrale hydroélectrique située sur l’Ingouri – dont le barrage-voûte fut longtemps le plus haut du monde – est partagée entre la Géorgie en amont, et l’Abkhazie quelques kilomètres plus bas. L’Abkhazie, ancien territoire géorgien ayant fait sécession en 1992 suite à un conflit armé, refuse l’accès sur ses terres aux citoyen·ne·s géorgien·ne·s. Elle est devenue pour ces dernier·e·s un paradis perdu, un conte de fées inaccessible. En attente d’une éventuelle autorisation pour passer de l’autre côté, Maradia parcourt ce lieu à l’espace-temps absurde où seule l’eau passe, mais pas les êtres. Là, en compagnie d’Ika, elle devient passeuse des histoires d’une communauté arrachée à sa moitié pour motifs politiques.



Gardien des mondes est le titre du film de Leïla Chaïbi, titre qui inspire ce texte et son fil rouge. Dans le cimetière de Jellaz, principal cimetière de Tunis, elle y filme Hassan, arrivé ici après une vie tumultueuse. Celui-ci raconte qu’il s’est endormi il y a près de quarante ans au pied d’un tombeau. À son réveil il n’a jamais quitté le cimetière. Il y a élu domicile, y a trouvé la paix, vivant en indigent auprès de sa mère enterrée là, à qui il se confie quotidiennement. Il se livre également à la cinéaste, qui dresse le portrait de ce protecteur des morts et observateur à distance des vivants. En creux, se dessine le portrait de ce lieu suspendu entre deux mondes, mais aussi celui des Tunisois qui y visitent leurs défunts.



Enfin, l’espace entre le monde des morts et des vivants est exploré par deux autres cinéastes de la programmation dans Wani. C’est sur la rive guyanaise du Maroni à Maripasoula, chez lui, dans la communauté des Noirs Marrons Aluku, que nous emmène Kerth Agouinti accompagné de son co-réalisateur Nicolas Pradal. Ils s’y placent auprès de Wani Doudou, fils du chef coutumier mort il y a de ça quelques années. Avec sa disparition, c’est une série de gestes et de rituels qui semblent s’être envolés avec lui. Filmant le personnage en proie à ce vide existentiel vertigineux, ils plongent avec lui au cœur des rituels de sa communauté. Celle-ci tente de se souvenir de la bonne tenue d’une cérémonie, afin de continuer à préserver le fragile équilibre entre l’esprit des morts et leurs familles en deuil.



Aurélien Marsais



Séances animées par Aurélien Marsais.

En présence des réalisateur·trice·s.