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Les États généraux du film documentaire 2023 Docmonde

Docmonde


La programmation Docmonde rassemble des œuvres qui ont été développées à l’écriture lors de résidences organisées par l’association du même nom, dans différentes zones du globe. Les trois films proposés nous viennent cette année de Géorgie, du Burkina Faso et de la Guinée. Les récits qui y sont déployés n’ont a priori rien à voir, mais ces écritures ont un trait en commun frappant : leurs réalisateur·rices y ont interrogé la mémoire de ces territoires et de leurs populations, dont ils·elles sont eux·elles-mêmes issu·es. En empruntant une écriture à la première personne, ils·elles se placent en tant qu’enquêteur·rices sur les traces d’un passé encore peu fouillé, et qui résonne encore aujourd’hui à travers leurs histoires individuelles. C’est en étant acteur·rices de leurs quêtes, en déplaçant leur regard et leur écoute qu’ils·elles tentent de se placer en tant que témoins actifs·ves face à la mémoire qui a été malmenée, réécrite ou oubliée.

Le moyen métrage d’Anna Dziapshipa, Self-Portrait Along the Borderline – dont elle emprunte le titre à la célèbre peinture de Frida Kahlo – ouvre sur un plan de la gare de Soukhoumi, capitale de l’Abkhazie, anciennement territoire géorgien ayant fait sécession en 1992 suite à un conflit armé. De retour sur ce territoire dont est originaire sa famille paternelle et qu’elle n’a pas visité depuis vingt-trois ans, elle s’interroge sur le sens de cette image qu’elle capte avec sa caméra. Comment trouver la réponse dans les images ? Anna Dziapshipa mène alors une enquête dans des images d’archives à la fois familiales et nationales, pour comprendre comment son patronyme typiquement abkhaze – autrefois associé aux exploits de son grand-père footballeur – cristallise depuis presque trois décennies une fracture persistante entre les deux territoires. De cette quête pour comprendre l’évolution de son identité, se déploie un récit autobiographique et intime qui se tisse habilement avec le politique.

C’est une aventure picaresque dans laquelle se lance le talentueux réalisateur Thierno Souleymane Diallo dans son film Au cimetière de la pellicule. À défaut de mémoire et d’archives, le réalisateur crée ici ses images, dans une quête qui le mène de Guinée jusqu’en France. Jeune cinéaste, Thierno part à la recherche de ce que fut peut-être le premier film réalisé par un noir d’Afrique francophone, un court métrage de fiction intitulé Mouramani, réalisé en 1953 dans son pays, la Guinée. Caméra au poing, perche et micro dépassant du sac à dos, il retrace le fil de ce film perdu que personne ne semble avoir vu, prenant le chemin des salles de cinéma abandonnées, des archives nationales détruites par le régime militaire dans les années soixante-dix, aux studios de cinéma de renommée panafricaine vite abandonnés et dont les caméras ont été refondues pour être transformées en marmites. Thierno Souleymane Diallo, protagoniste principal de son film dans lequel il va jusqu’à engager son propre corps pour devenir homme-sandwich ou crieur de journaux à Paris, interroge une histoire du cinéma malmenée par les mutations économiques et politiques du pays depuis les indépendances, dépoussiérant ainsi les souvenirs et tentant de comprendre ce que sont devenues les images aujourd’hui en Guinée.

Enfin, c’est dans une démarche similaire que se lance le réalisateur burkinabé Wabinlé Nabié, puisqu’il s’engage dans une enquête faite d’oralité, sur les traces d’une histoire qui se porte sur les corps et sur les objets de certaines ethnies au Burkina Faso. Partant de son village natal de Fafo, le réalisateur cherche à comprendre l’histoire d’une tradition qui est vouée à s’éteindre dans un futur proche, et ainsi recueillir la parole de ceux et celles qui l’ont vécue. Cette histoire, c’est celle de tout un peuple, portée par les corps au travers de scarifications, véritable carte d’identité pour différencier les ethnies, familles ou communautés des villages de la zone. Ces scarifications, aujourd’hui prohibées, sont ainsi encore portées par une dernière génération dont fait partie le cinéaste. Équipé de son appareil photo, il interroge sa communauté pour comprendre avec exactitude comment et pourquoi ces marques ont été portées pendant des siècles, et ainsi préserver une mémoire qui restera à transmettre à ses enfants sous une autre forme : à la fois un masque portant les scarifications traditionnelles de son ethnie, mais aussi un film, écrit par lui-même et sa communauté, derniers témoins d’une mémoire dont le médium continue d’évoluer.

Tout au long de ces deux séances, les cinéastes auront l’occasion d’interroger leur place d’auteur·es et réalisateur·rices au sein de cette mémoire explorée.

Aurélien Marsais

Séances animées par Aurélien Marsais.
En présence des réalisateur·rices.